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Coupable ou non coupable

Par Sylvie Nay

Non, ne tournez pas la page, je ne veux pas vous faire un cours de droit. Sachez toutefois que j’endosserai la robe de l’avocate de l’Enfant(1) qui a fini par conclure qu’il était coupable parce qu’il a rencontré et rencontre encore aujourd’hui des Gendarmes* qui se révèlent terribles, intransigeants, tyranniques.

Coupable, nous pouvons tous l’être à un moment ou à un autre. Cependant, quand nous nous sentons coupables, notre culpabilité peut être saine ou malsaine. La culpabilité saine, c’est celle que nous ressentons quand nous avons créé un dommage réel à quelqu’un. Elle est saine parce qu’elle joue un rôle de régulateur social et qu’elle nous invite à prendre nos responsabilités en réparant et/ou opérant les changements pour ne pas reproduire le dommage causé. Bonne nouvelle ! cela nous permet de la traverser et d’en sortir. Toute autre culpabilité est malsaine. Et bien évidemment, c’est dans les filets de celle-ci que sont prises bien des personnes, comme cette femme qui me disait : « cette culpabilité là on peut la rencontrer à tous les coins de rue ! »

Que se passe-t-il pour que j’en vienne à vous parler de ce que j’appelle la « culpabilité de l’innocent(e) » ? Tout simplement parce que je rencontre des personnes qui luttent trop souvent de manière violente (envers les autres ou envers elles-mêmes) contre cette culpabilité qu’elles actualisent dans leur vie d’aujourd’hui mais qui a son origine dans leur histoire d’enfant. Je me rappelle cette femme qui tranquillement arrêtée à un feu rouge se fait emboutir à l’arrière et dont la première réaction est de dire au passager à côté d’elle (au demeurant propriétaire de la voiture) : « excuse-moi, je ne l’ai pas fait exprès ! ». Cet épisode a été pour elle le point de départ d’une élaboration qui lui a permis de comprendre comment elle « participait » à sa position de bouc émissaire dans son travail.
Et aussi cet homme, blessé, qui n’a pas appelé à l’aide parce qu’il était cinq heures du matin et qu’il se serait senti très coupable de réveiller les pompiers et l’urgentiste de garde. En explorant son histoire, il a pu comprendre que les quelques heures passées à souffrir sans soin et sans que personne ne s’occupe de lui étaient reliées au fait que, dès très jeune il avait appris à protéger ses parents qui avaient déjà tellement de soucis avec la petite sœur handicapée. Il a alors retrouvé le souvenir d’avoir reçu une grosse fessée parce qu’une nuit il avait réveillé maman alors qu’il saignait du nez.
Voilà un exemple typique de ce que j’appelle le « monde à l’envers » : celui ou les petits intériorisent qu’ils doivent prendre en charge d’une manière ou d’une autre leurs parents. Et comme ils échouent (à les rendre heureux, à les empêcher de se séparer, à les empêcher de mourir et bien d’autres choses encore), ils se constituent « coupables ».

Un manque de soins adéquats, des violences physiques et psychologiques peuvent amener le Petit Professeur* à conclure que ce qui lui arrive est de sa faute parce qu’il n’est pas assez ceci ou trop cela ou encore parce qu’il n’a pas su arrêter l’abuseur. Voici l’histoire d’un homme célibataire qui a vécu cette culpabilité au point de se taper la tête contre les murs ou de rentrer dans des dépressions sévères. Aîné d’une famille dont le père battait régulièrement sa femme et ses enfants, il se sentait responsable de ne pas avoir su lui faire face et l’en empêcher. Je lui ai demandé combien il pesait (il est immense et apparemment fort musclé). Très surpris il m’a répondu :

– 110 kilos.
– Bien imaginons maintenant l’enfant de trois quatre ans que vous étiez et qui pesait une petite vingtaine de kilos face à un père de … Combien de kilos votre père ?
– Peut être 90-100
– Soit 5 fois le poids du petit garçon. Donc imaginons qu’aujour-d’hui entre ici un homme furieux de 550 kilos, qu’est-ce que vous faites ?
Il en est resté un instant bouche bée avant de s’exclamer : « mais alors, je ne pouvais rien faire ! »
A partir de ce moment, cet homme a pu enfin sortir de son schéma habituel de vie ou il oscillait entre une position de toute puissance (au point de se mettre en danger dans son travail) et une position de toute impuissance (où il se donnait des coups ou rentrait dans la dépression). Aujourd’hui, il fait montre d’une belle puissance dans sa vie. Il a même construit une famille, chose tout à fait inenvisageable pour lui auparavant.

Réfléchir à la « culpabilité de l’innocent(e) » peut vraiment aider les personnes à cheminer.
Alors coupable ou pas coupable ? Voilà une des questions qui peut participer à une bonne année et à une bonne santé. Je vous présente tous mes meilleurs vœux pour 2006.

• (1) Chaque fois qu’un nom commun est écrit avec une majuscule cela réfère à la théorie des états du moi d’Éric Berne, fondateur de l’Analyse Transactionnelle.
• Les exemples donnés ont fait l’objet de changements biographiques importants afin de protéger l’identité des personnes.

 
La Lettre de l’École n° 7, EAT-Lyon, Déc 2005.