Elyane Alleysson

Il y a de la place pour chacun

Par Elyane Alleysson

J’aime bien le conte Les trois plumes(1), et souvent je l’utilise pour illustrer une chose ou une autre. Ici, il va m’être utile pour illustrer le débat d’idées ou « dégâts d’idées(2) » qui prend corps dans des attaques(3) entre différents courants pour penser le psychique. Au lieu d’avoir une complémentarité co-fraternelle entre les différentes approches, on arrive à des courants qui défendent leur territoire en voulant détruire l’autre.

« Les trois plumes » : en bref : Un roi a trois fils, les deux aînés sont intelligents et instruits et le troisième « ne parle guère » aussi il est surnommé « le Benêt ». Le roi ne sait auquel des trois léguer son royaume. Alors il décide de les soumettre à une épreuve : celui qui lui rapportera le plus fin tapis sera roi après sa mort.
Il demande donc à ses fils de partir en quête de ce tapis et pour éviter toute contestation, il leur donne leur direction en soufflant sur des plumes. La première plume pour l’aîné s’envole à l’Est, pour le second, elle s’envole à l’Ouest et pour le troisième, elle s’envole peu et tombe tout prés de là.
Les deux aînés se gaussent et se contentent « d’enlever à la première bergère qu’ils rencontrent les tissus grossiers qu’elle a sur le corps », car, pensent-ils, leur dernier frère ne trouvera rien.
Le plus jeune s’assoit là où est tombée sa plume et se sent bien triste. Tout à coup il aperçoit une trappe qu’il ouvre et descend les escaliers qui l’emmènent sous terre. Et là, il rencontre une grosse grenouille à qui il demande le plus fin tapis. Elle le lui donne et il le rapporte à son père.
Les deux aînés, rapportent donc des tissus grossiers et le plus jeune, le plus fin tapis. Le roi est très étonné mais c’est justice que le royaume lui revienne.
Mais voilà que les deux aînés font pression sur leur père pour qu’il donne une autre épreuve, car il leur est impossible de voir le royaume revenir à leur plus jeune frère.
C’est ainsi qu’il y a une deuxième épreuve –rapporter la plus belle bague – puis une troisième – revenir avec la plus belle femme – et une quatrième qui est une épreuve entre les femmes. Et à chaque fois le plus jeune revient avec ce qu’il y a de plus beau.
Ainsi il devient roi.

Qu’apporte ce conte, au regard de la question qui me préoccupe ?

  • Que les merveilles ne se trouvent pas en arpentant le monde, en allant vite, en se contentant de la première chose qui tombe sous la main, en se gaussant de ceux qui ont une démarche différente.
  • Que les merveilles se trouvent dans cette descente dans les profondeurs, descente en soi-même, dans les profondeurs de son inconscient. C’est aussi la seule manière d’apprendre sur soi. On voit bien que les deux frères, tout intelligents et instruits qu’ils sont, n’apprennent rien de leur jeune frère, ils ne modifient en rien leur cadre de référence, et pourtant à trois reprises, leur frère rapporte quelque chose de bien plus beau que ce qu’ils trouvent eux-mêmes.
  • Que ce n’est ni dans un « faire », ni dans un « aller vite » que l’on découvre des merveilles, mais dans cette intériorisation, dans cette maturation qui est une rencontre avec soi-même.
  • Pourquoi les deux aînés restent sourds et aveugles (on pourrait supposer qu’ils posent la question à leur jeune frère sur « comment il fait ? ») ? Ils restent avec leur mépris, leurs yeux ne s’ouvrent pas. On peut imaginer que s’ils descendaient à l’intérieur d’eux-mêmes, ils y trouveraient jalousie et envie…..et donc, il vaut mieux rester à la surface pour ne pas être en contact avec ces émotions. Mais alors, ce n’est qu’une attitude défensive pour éviter d’ouvrir certaines portes.
  • Que dire du roi ? Que dire du souverain ? D’abord qu’il n’a pas de parole, qu’il n’a pas de vision car il se laisse influencer par ceux qui font pression. Lui aussi est aveugle. Il voit bien le résultat positif que produit l’intériorisation, mais il se laisse abuser par ceux qui lui disent de ne pas voir ce qu’il voit, et qui lui disent ce qu’il devrait voir.

Que penser de ces groupes qui veulent éradiquer un mode de pensée ? Veut-on éradiquer une maladie ? Encore faudrait-il démontrer que la psychanalyse est une maladie (de la société). Veut-on éradiquer un courant de pensée ? Alors là, cela me fait froid dans le dos.
Les représentants de la psychanalyse (et non la psychanalyse elle-même) ont préparé le terrain pour ce qui se passe aujourd’hui. N’ont-ils pas regardé avec mépris et suffisance toute autre approche que la leur ? Au lieu d’accepter de voir les choses merveilleuses que ‘le benêt’ pouvait apporter, ils l’ont regardé comme un sous-produit.

Les TCC(4) ont leur place et leur valeur. Je ne les appellerai pas des psychothérapies, car il n’entre pas pour moi qu’une psychothérapie soit un lieu de déconditionnement- reconditionnement. Elles sont une thérapie, comme on met un corset quand il y a une déviation de la colonne vertébrale.
Que les TCC existent, cela ne porte pas ombrage à notre action. Que les TCC veuillent se faire prendre pour le seul mode de traitement efficace, cela ne va pas, c’est à mon sens une démarche sectaire : car ils fonctionnent dans l’idéologie de détenir la vérité et de vouloir imposer, par la force – la pression – cette vérité.

La Lettre de l’École n° 7, EAT-Lyon, Déc 2005.

(1) Grimm J. et W., Contes, tome 1, Ed. Flammarion, pp. 394 – 397
(2) Delisle Gilles, Je vous parle d’un temps…., in Réflexions, Bulletin du CIG, Automne 2005
(3) Querelle et même diffamation concernant la psychanalyse, de la part de praticiens d’approches cognitivo-comportementales ; site diffamatoire concernant l’analyse transactionnelle.
(4)  TCC : Thérapie Cognitivo-Comportemenatale