Elyane Alleysson

La conscience

Par Elyane Alleysson

Selon Eric Berne : « La conscience est la faculté de voir une cafetière et d’entendre chanter les oiseaux selon sa propre manière et non celle qui vous fut enseignée »1, plus loin il écrira « vivre dans le présent, au milieu de ce qui se trouve là »2 ; « La personne consciente est en vie parce qu’elle sait ce qu’elle éprouve, où elle se trouve et dans quel temps »3. La conscience telle que la présente Berne est une posture de l’être humain pour sa vie de chaque jour. Cette posture définit deux états : un état nommé « la conscience » et un autre état que je vais nommer « la non-conscience ». Dans l’état de conscience demeure une part d’inconscient, alors que dans l’état de non-conscience il y a méconnaissance de cet inconscient : les choses sont la perception que l’on en a. Mais conscience et non-conscience de quoi ?

La conscience est conscience d’être Sujet, défini sur le plan philosophique comme : être soi-même fondement de ses propres pensées et de ses propres actions auquel j’ajouterai : y compris lorsque la personne choisit de s’adapter aux circonstances. Ici est Sujet celui qui choisit et qui ne subit pas. Choisir n’est pas une opération de volonté, ni le résultat de peser le pour et le contre, c’est le résultat du temps pris à laisser émerger nos mouvements intérieurs, notre désir, nos besoins.

Pour la non-conscience, j’emprunte à Annick de Souzenelle4 le terme d’esclave pour définir celui qui est soumis à un maître. Qui est ce maître ? Il n’y en a pas qu’un seul : il est aussi bien représenté par les figures d’autorité de son histoire, que par les éléments de sa culture et par les événements vécus dans sa petite enfance et qui sont non résolus. Tous les éléments qui entrent dans le scénario d’une personne font d’elle une esclave, parce qu’elle subit.
L’état d’esclave est, sur le plan descriptif, l’état de l’humain restant sur l’apparence, le consommateur, chosifiant tout, y compris lui-même5. Il se considère comme n’ayant de valeur que marchande (Combien il pèse sur le marché ?  A-t-il fait les études qui lui permettront de pouvoir peser le plus possible ? Sa parole a ou n’a pas de poids…).

Pour certains, il n’y a aucune souffrance à vivre cet état d’esclave car ils sont bien formatés pour être loin d’eux-mêmes et surtout ils sont syntones avec les exigences de rentabilité, d’ascension sociale de la société actuelle. Comme il n’y a pas d’écart entre leur propre vécu et ce qui est attendu d’eux, il n’y a pas de questionnement. Pour d’autres, cet état d’esclave est générateur de souffrances car il est vécu comme inchangeable : une personne a beau dire « c’est insupportable », elle continue à supporter. Un exemple de croyance sous-jacente est « La vie est dure, injuste, mais c’est comme ça. Que pourrait-on y faire ? ». C’est le registre de la plainte, dans l’ordre du « C’est affreux » dont on voit bien que rien ne doit changer. Cette plainte là est un perpétuel ressassement, donc pas une conscience éveillée, c’est l’expression de son ressenti de souffrance comme une fatalité à subir pour toujours.

En terme clinique nous parlerons d’un Adulte contaminé par le Parent et l’Enfant, justifiant son mal être par la croyance que là est la condition humaine, une condition d’esclave dans une vie qu’il faut gagner comme si elle n’était pas donnée. Ou sur la croyance que la vie est une lutte et celui qui réussi est celui qui arrive en haut de l’échelle, quelque soient les moyens mis pour y arriver. Tout ceci marche de manière chaotique, mais ça marche, jusqu’à ce qu’un événement, une rencontre viennent le faire éclater.

Alors advient le moment douloureux de l’éveil à la conscience. Douloureux et en même temps plein d’espérance : j’y peux quelque chose et je ne vais plus subir… j’y peux quelque chose.

Ce n’est pas tant l’énoncé de ses propres difficultés, car cela on pouvait déjà le faire, que la conscience de pouvoir vivre autre chose que de subir ou se rebeller contre ces difficultés… J’y peux quelque chose… Et c’est vraiment cela la conscience : conscience du pouvoir que l’on peut avoir sur ses propres difficultés, conscience de notre responsabilité dans ce qui nous arrive.

L’éveil à la conscience est un mouvement, une mise en mouvement, plus précisément. Un mouvement et un chemin : une fois le pied mis à cet étrier, on ne peut plus reculer, on ne peut plus faire comme si cet éveil n’avait pas eu lieu. Le chemin va être semé d’embûches. Souvent, la personne a une représentation de ce chemin de conscience conforme à la culture médicale : on va voir le docteur, on lui dit où on a mal et il fait quelque chose pour nous faire aller bien. La demande est alors « Docteur, guérissez-moi, guérissez-le – une personne, une entreprise, une classe… ». Dans ce cas, on reste sur une demande chosifiée : un organe (même psychique) est malade, il faut lui apporter un remède, et après ça sera fini.

Or le chemin vers soi-même est une expérience intérieure, à conquérir jour après jour et tout au long de sa vie : elle n’est véritable que lorsque l’on accepte le bouleversement intérieur qu’elle implique ; bouleversement qui vient interroger tout notre être, toutes nos convictions, toutes nos pensées, émotions, actions, croyances…

Dans ce contact avec soi-même, la conscience devient conscience de tout mouvement intérieur. Et pour un professionnel de l’accompagnement, ceci est une nécessité : être dans ce contact avec soi-même pour favoriser le contact avec l’autre.

La Lettre de l’École n° 9, EAT-Lyon, Déc 2007.

* E Alleysson, communication présentée lors de la table ronde au Congrès de l’I.F.A.T., novembre 2007.

1BERNE E., Des jeux et des hommes, Stock, Paris, 1978, p.193
2Ibid, p. 195
3Ibid, p. 195
4De Souzenelle A., L’Egypte ou les plaies intérieures…
5Ibid, p. 111