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Noël, rite ou rituel

Par Sylvie Nay

Combien de clients témoignent qu’ils n’aiment pas les fêtes de fin d’année : « j’aimerais que cette semaine n’existe pas », « je voudrais déjà être en janvier et que ce soit tout terminé ». C’est aussi souvent la période, mes agendas de fin et de début d’année en témoignent, d’une première prise de rendez-vous de psychothérapie.

Les fêtes de fin d’année sont, pour moi, un point de départ a une réflexion sur l’évolution au niveau sociétal de notre rapport aux rites. Depuis la nuit des temps, les sociétés humaines ont créé leurs rites qui marquent tant les évènements importants que les moments de questionnements existentiels. On peut en distinguer deux sortes : les rites de transition et les rites de continuité. Les premiers sont de l’ordre du « passage » comme un mariage, une soutenance de thèse, des funérailles. Les seconds correspondent plus à une confirmation de l’identité de la personne, comme son anniversaire, la fête des mères ou des pères. D’une manière ou une autre, ils nous rappellent que la vie est un cycle qui a un début et une fin.

Noël, la fête qui célèbre la naissance de Jésus, s’inscrivait au départ comme un rite de continuité. Il est aujourd’hui souvent défini comme une fête de famille. Glissement fréquent d’une fête religieuse à une fête laïque qui perd peut-être du corps. La première définition qu’en donne Le Petit Larousse illustré de 2002 : un « ensemble des règles et des cérémonies qui se pratiquent dans une Eglise, dans une communauté religieuse » montre combien, le rite est connoté religieusement. Le rite a pour fonctions de marquer un temps d’arrêt, de soutenir la mémoire, de confirmer son appartenance à un groupe et ses valeurs et de pouvoir, en cas de nécessité, bénéficier du soutien du groupe. Le rite correspond souvent à un moment de forte intensité émotionnelle. Par sa forme programmée, réglée, il permet l’expression, le partage des émotions tout en les contenant. Et surtout il contribue à donner du sens.

Où en sommes-nous dans notre vie familiale, sociale ? Questions très Importantes quand, par exemple, on observe la réduction des rites de deuil et leurs conséquences néfastes sur les endeuillés.

Pour beaucoup, Noël n’est plus qu’un moment où l’on se réunit pour se réunir et non pour partager. Il apparaît vide, vidé de sens. Les rites qui engendrent de la souffrance seraient-ils devenus des rituels au sens de l’Analyse Transactionnelle ? Dans « Que dites-vous après avoir dit bonjour ? » Eric Berne affirme que le rituel est, après le retrait, la forme la moins risquée d’action sociale. « Il s’agit d’échanges hautement stylisés pouvant s’effectuer familièrement ou s’instituer en cérémonies qui deviennent alors totalement prévisibles. (…) Les rituels sont programmés de l’extérieur par la tradition et l’usage social. »

En tant que forme peu risquée d’action sociale, le rituel ne serait-il que la coquille vide d’un rite ? En ce temps de préparation de Noël posons nous la question de savoir si nous ferons de cette « fête » à laquelle nous allons participer un rituel ou un rite porteur de symboles, de sens, de valeurs, de partage, d’appartenance, d’identité ? Si au lendemain, nous nous sentirons nourris et revigorés par ce moment privilégié de l’année ?

La réflexion peut aussi nous amener à penser l’influence de l’évolution de l’individualisme dans notre société occidentale sur ses rites et comment nous perdons le sens du collectif. Rappelons-nous comment celui-ci avait ré-émergé de façon stupéfiante en 1998 lors de la victoire des Bleus à la Coupe du Monde. Cet événement dont on a étudié les conséquences bénéfiques sur le moral des français dans les semaines qui ont suivi montre bien l’importance et l’influence de ces moments de partage et de communion sur la santé psychologique des individus.

Et si nous décidions d’offrir à nos proches et à nous même, au-delà des cadeaux achetés quelquefois remplacés par un chèque, un Noël plein de moments de partage, de chaleur humaine ? Et si tout au long de l’année et des événements importants, que ce soit dans un cadre religieux ou laïque, nous décidions de créer des rites qui ont du sens pour chacun, des rites où nos comportements exprimeront de manière quelque fois symbolique, nos sentiments et nos pensées, des rites qui « prennent le risque » de l’intimité au sens Bernien du terme, c’est à dire qui soient porteurs d’« une relation sincère, exempte de jeux, exempte de toute exploitation, où chacun donne et reçoit sans arrière pensée. »

La Lettre de l’École n° 5, EAT-Lyon, Déc 2003